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[ici tout est 
fabriqué maison]

 

 

Les machines aussi
attirent les mouches…

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Le roi est mort ! Vive le roi !


 

41 %

 

Février 2033

 

Le « U » collait mal. Il dut s’y reprendre à plusieurs fois pour placer correctement — c’est à dire bien droit — le signe doré, troisième lettre de Goulvent, bien au centre de la porte. Voi-là ! Pour archimaire, il décida de conserver la plaque de Haultcourt, après tout la fonction n’avait pas changé.

Il s’y était tout de suite senti chez lui. Les dépendances de l’Archimairie offraient tout le luxe qu’un premier conseiller pouvait rêver. Tout ce qu’il lui avait envié pendant toutes ces années de bons et loyaux services l’attendait ici, à portée de main.

Haultcourt avait payé pour son incompétence.

L’archimaire Goulvent, ça sonnait plutôt bien. Depuis son investiture, il ne se lassait plus d’écouter les gens prononcer son nom et son titre. Ses préférées c’était les secrétaires. Elles s’affolaient au moindre pas dans leur direction. S’il leur adressait la parole, elles changeaient de couleur et perdaient tous leurs moyens.

Haultcourt était passé par là. De leur côté les conseillers n’avaient rien changé à leur manège : une dose de respect pour deux de zèle. Goulvent se doutait bien qu’il susciterait des jalousies. Størky étant de loin le plus envieux ainsi il avait préféré — en bon manager — en faire son bras droit. Bien sûr il ne lui avait pas soufflé mot de son techno, Liptak, sa taupe. Le contrôleur Creps n’était pas plus au courant, même si cette dernière passait quinze heures par jour sous ses ordres.

Pour l’instant le silence avait fonctionné.

Dans la semaine qui avait suivi l’accident de Haultcourt, on avait voté sa nomination. Goulvent glissa lui-même les bulletins dans l’urne, en présence du Conseil Municipal au grand complet. Tout le protocole y passa, jusqu’au plus inutile détail. Il s’agissait sans attendre de leur en mettre plein la vue, de ne laisser planer aucun doute sur la foi en l’entreprise qui l’animait, lui, Goulvent, le nouvel archimaire de Systemville. Ils devaient tous ressortir de la réunion extraordinaire avec la conviction qu’il ferait exploser les chiffres péniblement atteints par son prédécesseur. S’il se fiait aux premiers retours et au dynamisme croissant du groupe, il s’en sortait pas mal.

Il se présenta le premier dimanche à la population mais peu d’employés se déplacèrent. Goulvent retarda de deux fois dix minutes l’allocution mais dut finalement se résoudre à prendre la parole devant son mince oratoire. Les deux dizaines d’employés furent visiblement réjouis du discours enlevé de leur nouveau chef. Il leur promis monts et merveilles. Et qu’il allait remonter la barre ! Et qu’il allait proposer à la terre entière des programmes dignes de ce nom, des rêves barbares avalés par les années, digérés par l’Histoire, des plaisirs interdits, des plaisirs réservés, énervés, intimes, concoctés sur mesure à la demande du client. De la neuroconnexion quatre étoile ! Il nota qu’aucun ne l’interpella sur l’accident. Il en déduisit qu’il en impressionnait déjà plus d’un.

Mais la priorité des priorités restait de convaincre Frédéricco. Que celui-ci ressorte assez emballé pour convaincre le Cercle des administrateurs. Goulvent savait qu’il était impossible d’envisager de mener des nouveaux travaux sans en faire part à ses nouveaux chefs. Ils n’apprécieraient pas. Le Cercle — selon l’image consacrée — se refermerait sur lui pour mieux le supprimer. Il lui fallait donc faire triompher la transparence, leur prouver que ce concept ajouté aux formidables possibilités qu’offrait l’implant donnerait cette fois à Dream©OM l’opportunité de prendre la tête du marché, voir de mettre dans le vent ses adversaires, et pourquoi pas les bouffer.

Le projet kz était là pour ça.

Goulvent savait qu’il devrait négocier la modification des textes concernant le taux de rotation des employés. La mécanique devait passer une vitesse s’il voulait obtenir de la matière première — le truc le plus difficile à négocier tant la recherche de nouveaux pigeons coûtait bonbon à l’entreprise (une des obsessions de son prédécesseur). Le 243 allait avoir besoin de figurants, et il ferait tout pour les obtenir… Tout.

L’archimaire fut distrait par un affreux gargouillement remontant de son estomac. Il haussa les sourcils, conscient qu’il lui faudrait prendre soin de la machine s’il voulait tenir le rythme. Il se fit un sommeil flash, se chargea de quelques neuro stimulateurs et commanda un repas froid en urgence : à peine quatre minutes plus tard sa secrétaire frappait à la porte. Elle était moulée dans une affreuse petite robe à fleurs imprimées genre œufs au plat. Elle avança sur la pointe des pieds et manqua de renverser le contenu du plateau tant elle tremblait.

— Merci Julie… n’oubliez pas d’appeler Liptak, je veux le voir avant ce soir.

— Oui monsieur.

— N’oubliez pas… » Il ferma sa bouche avec ses doigts telle une fermeture éclair.

— Bien monsieur…

— Et le 1er conseiller Størky… est-il arrivé ?

— Oui… justement… il discute dans le hall avec le conseiller Vassilis. » Elle parlait tout en reculant, comme s’il allait la gifler. (Ce ne serait que la deuxième fois). Il se contenta de ramener en arrière la large mèche gominée traînant sur son front mais elle resta collée, comme un casque de fer.

— Merci Julie. » conclut-il sur un ton se voulant amical.

En tant que 1er conseiller, il avait appris en secondant Haultcourt qu’un décideur se devait de ménager son personnel (ou de s’en séparer sur le champ). Surtout ne jamais abuser de la crainte que l’on inspire, mais la cultiver sans excès, au gré des humeurs, toujours attentif à garantir le minimum d’espace mental nécessaire à l’employé pour ne pas qu’il pète les plombs — productivité oblige.

Il sourit gentiment à Julie et referma la porte dans son dos.

Petite pute… !

 

Quand Størky entra l’archimaire entamait sa compote de poire. Il l’invita à s’asseoir en face de lui.

— Jus d’orange ?

Sans lui laisser le temps de répondre il lui versa un verre à raz bord.

« Tu peux y aller il est délicieux, pressé à la main par une de mes délicieuses secrétaires, et puis c’est bon pour les méninges ».

Il savait Størky susceptible et ne se priva pas de ce petit froissement, un simple stimuli destiné à capter son attention.

— Voilà, nous allons rencontrer Frédéricco en présence de sa fille. Je dis « nous » car tu es de la fête. C’est toi qui parlera du biomodem. Prépare un truc pour pas t’embrouiller et ramène une bestiole. Pour ma part je me chargerai de commenter vacances à Haïti. Il doit mordre à l’hameçon et je compte sur sa fille pour nous aider.

— Il sait qu’elle vient ?

— Non. C’est un bon vivant, il aime les surprises. » L’archimaire se gratta le front, se parlant à lui même. « S’il hésite, et seulement dans ce cas, je lui parlerai du projet kz »

— Et s’il trouve ça trop dangereux. Immoral… » L’archimaire s’esclaffa.

— Ce n’est pas le genre de la maison Dream©OM. Tu devrait le savoir. Les lois du marché ont des vies propres qui se contrefoutent des états d’âmes. Il suffit seulement d’être bon gardien de bétail. Størky comprit de suite l’allusion à kz et lui décocha une œillade respectueuse.

 

Il résonna dans le spacieux salon « bienvenue» un bruit de vérin suivi d’un souffle profond, le tout accompagné de quelques crissements. La porte accordéon habillée de velours vert bronze et brodée de fil d’or se replia au ralenti. Frédéricco Vanoli, membre et principal actionnaire du Cercle des administrateurs de Dream©OM sortit de l’ascenseur, pressé. Quatre sbires, à la fois gardes du corps et hommes à tout faire l’entourait. Leurs yeux analysaient la pièce sous tous les angles comme autant de caméras de surveillance surentraînées, autopsiant l’espace tel un corps mystérieux, à l’affût du moindre danger, où anomalie.

L’administrateur s’arrêta devant Goulvent, immobile et les bras croisés. Il releva la tête, dévoilant un sourire jauni à la feuille de havane. Aussitôt les gardes du corps prirent place autour d’eux en formant un carré parfait (le nombre d’individus participant à la conversation déterminait le choix d’une figure bien précise). L’archimaire salua l’administrateur en respectant le protocole. Décidément le défunt Haultcourt lui avait tout appris. Il réalisait d’ailleurs que c’était peut-être là une erreur à ne pas reproduire avec Størky.

Il fut frappé par l’extraordinaire ressemblance avec sa fille Maria qui attendait depuis déjà deux heures dans son bureau en compagnie de son 1er conseiller.

— Mes respects administrateur Vanoli. Bienvenu au 243.

Vanoli ne lui répondit pas tout de suite. Il se contenta d’abord de sortir un long et fin cigare qu’il inspectât ; ensuite il retira un anneau de métal du cartilage de son oreille. La boucle signé de sa main glissa, résistant à peine, juste assez pour serrer convenablement le havane. Ceci fait il embrasa la bête et noya Goulvent dans un nuage de fumée.

— Mr Goulvent ? Archimaire Goulvent devrais-je peut-être dire ? Enfin nous verrons ça, aussi… Sachez tout de même que si j’ai répondu positivement à votre demande de rendez-vous, c’est plus par soucis d’y voir clair sur la disparition malheureuse de votre prédécesseur que par intérêt pour vos soi-disant projets.

— Oui… je vous comprend… Ça commence mal. mais permettez-moi tout de même de vous dire que les deux sont intimement liés. C’est un accident de parcours, un accident… professionnel.

— Nous allons voir ça » crissa Vanoli. « En tout cas je vous conseille d’avoir une bonne explication si vous ne voulez pas vous retrouver à balayer les rues du 243. »

Il toisa le salon des yeux. « Allons-y je vous suis. »

Les sous-sols de l’Archimairie s’étendaient sur toute la superficie de Systemville n°243, un véritable faux plafond entre le ciel du village d’en dessous et les première racines du 243. Ils durent donc emprunter maintes coursives et autres sas pour rejoindre l’ascenseur pendu à la verticale de l’Archimairie.

 

La porte glacée de la chambre holo glissa dans leur dos.

Silence.

Størky, Maria, son père et l’archimaire prirent place dans les immenses canapés.

Toujours le silence. Goulvent remarqua que le père et la fille se fuyaient du regard.

C’est l’administrateur qui le brisa.

— Impressionnant en effet… c’est une bonne idée les pratiques vaudous. Les consommateurs de virtuel vont mordre à l’hameçon.

Goulvent sentit son cœur se réchauffer. Il préféra anticiper pendant qu’il avait l’avantage, et en finir une fois pour toutes.

— C’est un accident regrettable, mais j’en suis le premier désolé. Les risques courus par les joueurs font partie intégrante de la réalisation. Une sorte de contrepartie à la sensation qui découragera les rigolos.

— C’est ce qui fait le charme de ce nouveau concept. » surenchérit Størky, fidèle à son mentor. « Dans les Aventures le joueur court un risque, si minime soit-il. Ils sait qu’il va pouvoir éprouver des émotions uniques, il sait aussi qu’il va devoir mettre sa propre chair en danger, jouer avec sa vie. Le client est au courant dès le départ et c’est un des ingrédients qui fait le charme de nos Aventures. Tout ces détails seront indiqués sur un disque livré avec l’implant

— Ce risque, vous n’avez pas hésité à le faire courir à ma propre fille ?

Ni Goulvent ni son 1er conseiller ne trouvèrent rien à répondre. Heureusement Maria leur tendit la main. Encore une idée de Haultcourt.

— L’archimaire ne savait rien de mon identité. je me suis présentée sous un pseudo » mentit Maria.

L’administrateur haussa les épaules et ralluma son une feuille déjà consumé au tiers. C’était comme ci le vaste bureau appartement s’était subitement rempli de fog. Elle mentait bien la garce. Elle avait toujours su mentir. Question d’éducation. Son éducation ! Certains épisodes de la vie familiale induisaient une rigueur sans écart. Même si le silence pouvait avoir un prix. Même avec sa fille. Il se relâcha et sourit.

Ce qui détendit comme par magie le petit monde. Frédéricco prit la main de sa fille et fit mine de la réchauffer.

— Le principal c’est qu’il ne te soit rien arrivée ma chérie. Ta mère en serait morte. Il se retourna vers Goulvent, interrogateur.

— Papa…

Il l’ignora.

— Il y a eu d’autres accidents ? Dite moi la vérité.

La voix de Vanoli était descendu bien en deçà en de zéro.

— Non. Aucun sur huit tests.

Frédéricco parut réfléchir un moment.

— Et pour les…, vous faites comment ?

— Ils sont tout près d’ici, stockés dans les sous-sols. On fait tout pour sauver ceux qui peuvent encore l’être. A chaque fois que l’un d’eux s’en sort, c’est autant d’argent qui n’est pas dépenser la fois d’après.

— Ça je m’en doute. Ce que je veux savoir c’est où vous allez les pêcher.

Goulvent pouvait lire dans les yeux de l’administrateur qu’il entrevoyait déjà la réponse. Il y eut un blanc. Størky en profita pour aller chercher du jus d’orange. Après tout il n’avait pas les fonctions d’archimaire. L’autre n’avait qu’à se débrouiller.

— Ici, au 243. On pioche parmi les figures locales, disons, les moins productives.

— Nous y voilà ! lâcha Frédéricco en détachant chaque syllabe.

— Oui. Nous y voilà. Mais est-ce que l’improvisation, lorsqu’elle est intelligent, serait un crime mettant en jeu la philosophie Dream©OM ? » C’était le moment. « Monsieur Vanoli, je vous demande l’autorisation de tripler le turn-over des employés du 243 dans les deux mois qui suivent.

Vanoli le torpilla du regard.

— Vous avez des projections ?

—Oui. Et elles sont très encourageante. D’ailleurs… »

Il effleura la table basse. Le champ bourdonna et s’illumina. Une courbe holo partagea l’espace en deux, une ligne brisée, bleue et scintillante ; elle perça sans difficulté l’épais écran de fumée.

« …tout porte à croire que la demande va augmenter de façon exponentielle. Il faut faire vite ! (il s’entendit crier). Je ne vous apprendrai pas que l’espionnage industriel fait rage dans notre secteur. Nos concurrents sont de vrais snippers. Sans parler de ces terroristes qui sont prêts à tout pour nous faire plonger dans les égouts du marché. Il nous faut tirer un maximum de profit du concept, le labéliser, fidéliser le client avant que d’autres se réveillent pour nous le piquer. »

Goulvent eut envie de parler du projet kz mais se ravisa. Il garderait cette carte bien au chaud.

— Je vais m’arranger avec le ministère pour qu’on nous fournissent au plus vite des nouveaux fichiers de recrutement. Nous allons devoir rabattre plus large, ratisser dans d’autres milieux.

Nous… C’était presque gagné.

— Le ministère ? » s’étonna Størky en remplissant généreusement les verres.

— Tout à fait. À ses heures perdues Garrenne est également administrateur du cercle. Il couvrira notre affaire et saura ou fouiner pour nous procurer des fichiers. » Il avala goulûment le liquide pulpeux. « délicieux… Messieurs… je suis fier de vous, vraiment. Le n°243 va servir de laboratoire d’expérimentation. Si ce projet marche autant qu’il le promet, nous lui donnerons la place qu’il mérite. Il est inutile de dire que de jolies perspectives s’ouvriront alors à vous surtout si… » Il se retint de leur faire part du projet de faire passer Dream©OM au Premier Plan. Au mieux ils ne comprendraient pas grand chose, au pire ça pourrait les affoler.

— Si… ?

— Si… si vous continuez à faire preuve d’autant de savoir faire.

Goulvent sentit une érection lui prendre le bas-ventre. Son regard partit à la dérive, puis glissa jusqu’au trou-bouche de Maria. Il avait réussi.

« Encore une chose… » Frédéricco souleva sa masse énorme du fauteuil. « Je veux participer à d’autres projets. »

Størky sortit du revers de sa veste une petite boîte rouge et un disque qu’il lui tendit.

— Nous avions prévu. Voici le biomodem et le mode d’emploi qui va avec. C’est désagréable mais complètement indolore.

— De toute façon si j’ai un problème, ma fille se fera un plaisir de m’expliquer comment votre truc fonctionne. » Il se tourna vers sa fille qui baissa les yeux. « N’est-ce pas chérie ? »

— Oui papa…

Il ricana un peu trop longtemps pour que ce soit naturel.

« Papa ? »

— Oui ma chérie.

— Je reste ici. Mr Goulvent m’a proposer de me joindre à l’équipe.

— Quelle bonne idée ! Reste ma chérie, reste… Je compte sur toi pour me rendre compte du travail accompli. » Il se pencha et la baisa bruyamment sur le front.

L’archimaire qui ne pouvait cacher sa satisfaction raccompagna gaiement Frédéricco jusqu’à la porte. Un pied dans le couloir, il lui tendit la main.

— La prochaine rafle est déjà programmée.

— Décidément, je commence à penser que Haultcourt est bien où il est. » lâcha l’administrateur en riant.

Sur ce ils prirent rendez-vous et se rendirent chaleureusement l’accolade.

Maria regarda son père s’éloigner.

C’est dans un jeu que tu m’as brisé. C’est dans un jeu que je te tuerai. Dans un putain d’jeu de ta putain d’boîte.


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